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ANTHROPOGÉNIES LOCALES - SÉMIOTIQUE
 
 
 
L'ANIMAL SIGNÉ - Deuxième partie - LES DEUX VOIES DU SIGNE
 
 
 
Le publicitaire est, dans le monde actuel, le manipulateur le plus avisé des signes. Les sommes d'argent qu'il engage ne lui permettent pas de se tromper, par opposition à l'artiste. On dit qu'il conditionne le public. Il est surtout conditionné par lui. C'est-à-dire qu'il doit rejoindre ce qu'il y a de plus moteur dans une population: non pas les besoins, mais les désirs. Et ces désirs, fatalement flous, il faut qu'il les articule, les positionne. Pour mieux atteindre ce positionnement, le publicitaire conjugue d'habitude les deux espèces de signes: les images et les symboles du langage écrit.
D'après A. et P. Magazine

 
 

Le signe étant un des grands moments de l'évolution du monde, il est important d'en distinguer les voies pour mieux comprendre ce qui, dans l'univers, a été engendré par lui, c'est-à-dire les civilisations avec leurs histoires et leurs paysages.

Ses voies majeures sont deux. Car il n'y a que deux façons de remplacer quelque chose au sens où la signification est un remplacement: soit par participation à ce que l'on vise, soit par l'exclusion de ce que l'on ne vise pas. Ce sont là de véritables catégories, où on joue avec la tension la plus fondamentale: celle du positif et du négatif, de l'inclus et l'exclu, de l'intérieur et de l'extérieur.

Aussi est-il traditionnel de distinguer, dans les signes, deux grands types: les images, ou icônes, opérant par participation et par position, et les symboles au sens technique du terme, opérant par sélection, opposition, exclusion. Comme on préfère dire aujourd'hui, les signes sont soit analogiques soit digitaux.

 
 
 
Chapitre 4 - LES IMAGES ET LE LANGAGE ANALOGIQUE
 
 
 

Les signes les plus nombreux, les plus familiers et apparemment les plus simples sont ceux qui remplacent leur désigné d'une manière positive, c'est-à-dire en participant à ses caractères. C'est le cas des images, ou icônes, lesquelles désignent par imitation, comme l'indique le radical im (mim). Un dessin, qu'il soit de l'âge des cavernes ou d'aujourd'hui, une photo, un film, un reflet dans un miroir, un geste mimétique ont en commun avec ce qu'ils désignent la disposition générale des parties, certains rapports de teinte, de saturation, d'ombre et de lumière. Les icônes sonores imitent également. Dans tous ces cas, il y a analogie, c'est-à-dire proportion: proportion entre les éléments du désignant, d'une part, et ceux du désigné, de l'autre. Les cartes géographiques, avec leurs échelles et leurs couleurs «naturelles» (vert pour les bois, bleu pour les rivières) en sont un exemple familier. Les computers dits analogiques sont justement ceux qui travaillent par images: ils miment sous la forme de circuits et de relais les données d'un problème, d'une situation. Peirce estimait que les équations algébriques sont aussi des images jusqu'à un certain point, vu qu'elles reproduisent dans leur structure une situation à étudier.

Tout tableau occidental est théâtre, point d'horizon et de soleil, cadre, vitre de désignants, désignés, schèmes mentaux, interprétants, qui, quand leur système se brise, entraînent le réel avec eux.
Avec l'autorisation de Madame Magritte

 
 

On dit parfois que le langage analogique serait commun aux hommes et aux animaux. Et c'est vrai que l'animal a des comportements mimétiques par lesquels il transmet des informations; une chatte qui se frotte au réfrigérateur communique à son maître quelque chose comme: j'ai soif, donne-moi du lait; ou plus exactement, croit Bateson: traite-moi comme une mère le ferait. C'est vrai aussi qu'en plus de ces images de communication son cortex fournit à l'animal des images d'imagination: il peut saisir des objets en restant dans les circuits internes de son cerveau, c'est-à-dire sans devoir se brancher directement sur le monde extérieur. Mais il ne dispose pas d'images signes, ou icônes, - sauf peut-être chez quelques singes supérieurs, - c'est-à-dire de substituts arbitraires, conventionnels et réfléchis. Par conséquent, il n'a pas non plus un langage au sens propre. Le langage analogique, étant participatif, est pour une part animal; mais étant en même temps arbitraire, il suppose le saut propre à la signification.

 

Les métamorphoses iconiques

 

Sinon, quand on a compris le mécanisme général des signes, il n'y a apparemment rien de très original dans le fonctionnement des images ou icônes. Comme tous les signes, elles opèrent non seulement des remplacements, mais aussi des déplacements: le jour y appelle la nuit, les teintes froides les teintes chaudes, le sommet l'abîme, l'élément femelle l'élément mâle; c'est ainsi qu'elles donnent lieu à de véritables compositions: elles composent et se composent. Et, comme il convient également à des signes, certains de leurs déplacements sont utilisés par elles pour opérer les remplacements propres à la signification. Elles vont alors du semblable au semblable: le sein est une pomme, c'est la métaphore iconique; ou du contigu au contigu: le pied d'une échelle est l'échelle entière, c'est la métonymie iconique.

Avec l'autorisation de Madame Magritte

 
 

Mais ce qu'il y a de propre aux images, du fait sans doute qu'elles travaillent par participation et par analogie, c'est que ces différents registres y connaissent souvent des fusions et des confusions. Un soulier peut sembler par contiguïté une métonymie pour le pied; mais, en même temps, son rapport au pied est assez analogue à celui du .vagin au pénis pour qu'un homosexuel y trouve une similitude fidèle, et donc une métaphore, des deux sexes entre lesquels il hésite. Inversement, quand Magritte, le premier et le plus grand sémiologue de l'image, impose au visage d'une femme le masque de son tronc, de sorte que les yeux soient des seins, les narines un nombril, la bouche une toison pubienne, le menton des cuisses serrées, nous avons une métaphore, où un tronc désigne un visage par similitude; mais, comme ce visage-tronc est figuré (masqué) par une translation du tronc véritable élidé, et que d'ailleurs il lui reste contigu par un cou très ostensible, le visage désigne aussi le tronc par métonymie, et le posséder visuellement constitue bien une sorte de viol, comme le spécifie le titre. Enfin, un centaure qui conjoint un buste d'homme à un corps de cheval, peut sembler un bon exemple de simple composition par opposition: l'homme et la bête; mais il est loisible aussi d'y lire de vrais remplacements-par-déplacements: une métaphore (l'homme est un étalon), voire une métonymie (cavalier pour coursier, coursier pour cavalier).

Ce sont des confusions ou des métamorphoses de cette sorte qui ont fait que Freud a parlé de l'activité d'épaississement (Verdichtung) des images; et du même coup de leur activité de glissement (Verschiebung), c'est-à-dire de la façon dont elles font glisser les affects, mais aussi les désignants, les schèmes mentaux, les désignés, les interprétants, qui, dans leurs fluidités et leurs raidissements, émigrent là où on les attendrait le moins. Les remarques de Freud visaient principalement le rêve dans sa fonction d'accomplissement détourné des pulsions de vie et de mort. Mais elles valent également pour les états de veille et pour les images en général. A moins qu'il soit plus juste de dire que toute image a quelque chose d'onirique, et est toujours encline à devenir une satisfaction d'Eros ou de Thanatos.

 

Les effets de champ iconiques

 

Ceci nous conduit à considérer un aspect de la signification que nous avons négligé jusqu'ici, que nous retrouverons dans certains signes digitaux, mais dont les images donnent l'approche la plus facile. C'est ce que nous voudrions appeler les effets de champ perceptifs.

Procédons méthodiquement. Un tableau de Rubens ou de Vinci contient assurément des dénotations d'objets: une Vierge, un enfant, une montagne; il comporte également des dénotations narratives et psychologiques: l'enfant se montre attentif ou lointain; et aussi des connotations sur les donateurs ou en tout cas sur le milieu auquel est destinée l'oeuvre, qui est bourgeoise ou noble. Mais, en même temps, il y a là, dans le pur rapport des couleurs, des lignes, des volumes, des matières, des touches picturales, des lumières, et indépendamment de tout thème directement ou indirectement représenté, un certain taux d'ouverture et de fermeture, de compacité et de porosité, de verticalité et d'horizontalité, d'expansion et de rétraction, d'insistance ou d'effleurement, de stridence et de respiration, d'homogénéité et d'hétérogénéité, etc., et cela dans le tout et dans chacun des fragments, et qui constitue une seconde dénotation de l'oeuvre, ou une dénotation du second degré (et nullement une connotation). Cette dénotation d'un genre spécial pourrait également être dite un message, et même le message principal de l'oeuvre, mais il est plus sûr de la désigner, ainsi que nous venons de le faire, comme une optique, une vision du monde. Car elle transmet moins d'autres choses à voir qu'une manière de voir toutes choses [1].

 
Avant d'être Neptune et son char, les traits de Léonard de Vinci sont un champ de gravitation, propre à cet artiste: un écheveau de tourbillons spirales, une chevelure universelle, capable d'engendrer les mondes et les choses. De même, chez Paul Klee, il n'y a pas d'abord des rochers ou des flots, mais un certain rythme, où les traits entretiennent entre eux des distances telles qu'à aucun moment ils ne forment des schémas, que partout le regard reste toujours entre les événements particuliers, dans la tension de leur étoffe génératrice.
Royal Library, Windsor Castle, copyright reserved

 
 

D'ordinaire, l'homme occidental, habitué par son rationalisme à composer des messages particuliers, ignore dans sa théorie cet aspect des signes. Ce qui ne serait qu'un demi-mal si cette cécité l'empêchait seulement de bien comprendre intellectuellement les démarches artistiques. Mais, en réalité, les effets de champ perceptifs animent toutes les icônes, même les plus populaires et les plus enfantines; simplement, ils sont alors plus circonscrits, plus étroitement culturels que chez les peintres ou sculpteurs aux intentions universalisantes. C'est eux qui permettent de reconnaître que des images même élémentaires sont l'une asiatique, l'autre africaine, et plus précisément qu'européenne, russe, hongroise, hollandaise. Tant il est vrai que ces polarités à la fois logiques et existentielles, ces espaces-temps sont ce qu'il y a de premier dans la culture d'un continent ou d'une nation, et qu'ils donnent ce plus initiateur de leur structure [2] que les anthropologues même structuralistes ont souvent méconnu.

Si, parmi tous les systèmes de signes analogiques, la musique nous touche avec une telle force, c'est que les effets de champ perceptifs y jouent un rôle presque exclusif. Il y a bien dans les pièces musicales, qu'elles soient sublimes ou banales, des messages particuliers: des dénotations, comme l'orage de la Vie Symphonie ou le «coucou» des enfants; et des connotations, comme les «accents» solennels et héroïques des musiques royales et militaires. Mais l'essentiel n'a jamais été là; ni non plus dans les «formes» qui opposent la gavotte à la bourrée, la sonate à l'impromptu. Moyennant les timbres, les hauteurs, les intensités, les rythmes, les tempos, auxquels les sons offrent une matière à la fois ductile et précise, la musique c'est les taux globaux d'opacité et de transparence, de prélèvement et d'immersion, etc., dont nous venons de parler, et qui créent le monde de Beethoven ou celui de Haendel, celui des musiques chinoises ou celui des musiques indiennes, qu'elles soient savantes ou populaires. Cela est si vrai que les rares théoriciens qui ont soupçonné l'existence d'effets semblables dans les images visuelles ont alors parlé de leur dimension musicale: ce fut l'orphisme en peinture.

 
La graphologie de la partition manifeste déjà les effets de champ perceptifs musicaux: les mouvements d'horlogerie de la combinatoire de Bach, les bruissements volontaristes de Beethoven.

 
 

 

Les chevauchements langue-parole et synchronie-diachronie

 

Ce qui vient d'être dit nous prévient que, dans les images, deux distinctions célèbres doivent être maniées avec prudence. En effet, il est traditionnel depuis Saussure de considérer qu'un «langage» (analogique ou digital, peu importe) s'articule en une «langue», c'est-à-dire un système commun au destinateur et au destinataire, et une «parole», qui est l'emploi particulier qu'un destinateur fait de ce système à un moment donné. Précisons que, contrairement à ce qu'on dit souvent, la «langue» ainsi entendue n'est pas toujours un code, car elle n'est pas toujours conventionnelle, et que la «parole» n'est pas toujours un message, car, comme Chomsky y a insisté contre Bloomfield, ce peut être aussi bien une pensée. Quoi qu'il en soit, s'il y a une «langue» distincte des «paroles», son approche doit être d'abord, comme le voulait Saussure, synchronique: les éléments y signifient d'abord les uns par rapport aux autres au moment où la «langue» est employée, donc synchroniquement; et l'approche diachronique, envisageant l'histoire successive des éléments de la «langue» (autrefois roi se disait rwé, honnête voulait dire cultivé, ce tirage ou ce cadrage photographique a connu telles modifications au cours des temps, cet accord de Beethoven aurait été différent chez Mozart), est une étude intéressante mais qui doit venir en second lieu, car elle n'est pas indispensable à la saisie de la «parole» présente. Or, cette double distinction saussurienne, si utile qu'elle soit, est largement brouillée dans les systèmes analogiques.

By permission Fogg Art Museum, Cambrigde, USA

 
 

Ainsi, quand Beethoven forme une «parole», c'est-à-dire quand il compose, on peut dire qu'il utilise une certaine «langue», musicale: les tonalités et les modes occidentaux, les résolutions de Mozart, de Bach, etc. Mais justement, composer ne signifie pas pour lui employer cette «langue» mais la faire bouger, la modifier; une oeuvre est d'autant plus intéressante à ses yeux qu'elle diverge davantage des ouvrages antérieurs des autres musiciens ou de lui-même; bien plus, l'écart par rapport aux «langues» déjà faites constitue un élément essentiel du contenu de sa «parole». C'est dire que «langue» et «parole» ne sont pas adéquatement distinctes en ce cas. De même, dans la peinture, l'architecture, le cinéma, la danse, les artistes confortables appliquent une «langue» formée, dont la reconnaissance fait le plaisir du public, mais les artistes majeurs s'attachent à mettre en place une «langue» nouvelle, dans l'ensemble de leur travail chez les anciens, et même si possible dans chaque oeuvre ou chaque période chez certains contemporains.

Ces chevauchements entre «langue» et «parole» en entraînent d'autres entre approche synchronique et approche diachronique. Dans le Satiricon de Fellini, les fenêtres ont des formes qui évoluent très systématiquement à travers le film; elles parlent donc les unes par rapport aux autres à l'intérieur d'une «langue» et d'une «parole», et une approche synchronique considérant le film comme un tout est indiquée. Mais ce système, étant original, parle également par ses écarts vis-à-vis des systèmes précédents, celui de Rossellini, par exemple, ou des films antérieurs de Fellini, et l'on ne saurait se passer, même du point de vue de la saisie de la «parole» présente, d'une certaine perception diachronique, sur laquelle le cinéaste spécule, connaissant les habitudes culturelles de son public. De même un tableau de Gréco parle par son taux de verticalité, par l'acidité de ses couleurs, par son type de mise en page, mais également par la distance qu'il donne à sentir à ses contemporains et à nous par rapport à la «langue» de Tintoret et des Vénitiens en général.

Et, comme il est banal de le dire, c'est même une des questions de toute création artistique, comme aussi de tout dessin ou toute performance musicale ordinaires, que de savoir jusqu'où on peut aller, c'est-à-dire de définir la distance optimale à l'égard des codes reçus pour que l'événement reste significatif. Bref, pour l'icône, il n'y a pas d'approche synchronique rigoureuse qui ne soit du même coup diachronique, en particulier si l'on est attentif aux effets de champ perceptifs, où les risques calculés de l'écart significatif sont le plus sensibles.

 

Les fonctions iconiques

 

II ressort de tout ceci que, dès qu'il s'agit de séduire, de sympathiser ou de terrifier, les images n'ont pas leur pareil, puisque, travaillant par analogie, elles créent fatalement un lien entre elles et leur désigné, comme aussi entre elles et le corps qui les perçoit: pour comprendre un mime visuel ou auditif, je m'y engage toujours quelque peu. Ce qui contribue à la captation, c'est que rien ne fait comprendre plus vite une situation globale complexe qu'un schéma ou une imitation quelconque. D'autre part, les icônes sont riches: un cri, un geste, une photographie comportent, en tant que désignants, une quantité d'information souvent inépuisable, et par ailleurs ils présentent leur désigné aussi comme inépuisable, puisqu'ils se donnent comme n'étant qu'un point de vue sur lui, à côté d'une infinité d'autres points de vue possibles. Par là l'image reste proche de l'évidence et de la présence de la perception, dont on sait qu'elle a justement ces caractères parce qu'elle saisit son objet comme la débordant toujours. Bref, si l'icône, en tant qu'elle est un signe, est abstraite, elle reste néanmoins très concrète (concreta), elle laisse croître ensemble (con-crescere) ce qu'elle prélève.

Du coup, et ceci est sa force proprement spéculative, ses analogies lui permettent de penser en flou, c'est-à-dire d'obtenir des vues d'ensemble d'un processus ou d'un domaine sans avoir à en inventorier tous les détails: ce qui fait, en économie et dans la technique en général, l'intérêt des systèmes analogiques de calcul. De même, elle a la possibilité de présenter ses informations non pas fatalement à côté de la non-information, du fond, mais en état d'émergence et d'immersion par rapport à eux: la place considérable qu'y occupent les effets de champ perceptifs contribue grandement à ce devenir. Dans la photo la plus banale, une personne ou un objet sont toujours en train de sortir d'une lumière diffuse et d'y rentrer; et il est rare qu'un son se détache absolument du bruit qu'il organise transitoirement.

Munie de cotes, d'échelles et de légendes, la carte géographique a toutes les propriétés de l'image tout en s'adjoignant celles du discours. Elle est indissolublement scientifique et poétique. Grâce à elle il y a un corps de la Terre jusque dans les sociétés techniques.
D'après l'Atlas Bordas, Paris

 
 

Tout ceci a pour effet que les images jouent un rôle décisif dans ce qu'on appelle parfois la deutéro-information. En effet, je puis communiquer: cela a telle qualité, se trouve à tel endroit, entretient telle relation concrète, abstraite, imaginaire avec telle autre chose; cas de protoinformation. Mais je puis communiquer aussi: ce que je vous dis là ou fais là c'est du sérieux, du jeu, du bluff, une déclaration de sympathie, une mise en garde, un appel à l'attention, etc.; cas de deutéro-information. L'être humain donne un rôle immense à cette dernière. La plupart des propositions du genre «II fait plus doux qu'hier! Quel temps de chien!» ne sont que des façons indirectes d'exprimer «Je ne vous veux pas de mal! Prenez-moi en considération! etc.» Pour autant, comme le remarque Bateson, qui a vu dans les contradictions entre ces deux types d'information chez la mère une explication de la schizophrénie de l'enfant, l'homme se comporte en mammifère: la danse de l'abeille signale l'endroit et la quantité de la provende, tandis que les comportements du loup concernent pour la plupart la domination ou la soumission. Et, toujours comme les mammifères, sauf peut-être les aquatiques (dauphins, baleines), l'homme confie la plus grande partie de ses deutéro-informations à la communication analogique: il rit et son regard pétille comme le chien agite la queue. On précisera cependant deux choses. L'être humain peut également faire passer ses informations du second type dans le langage proprement dit, tantôt par la banalité bienveillante, tantôt par des torsions logiques: «Ne prenez pas ceci pour un reproche, mais...» D'autre part, sauf dans quelques rarissimes réactions instinctives (le relèvement brusque des sourcils en cas d'étonnement), les communications analogiques humaines sont arbitraires: la bienveillance peut s'exprimer par l'immobilité du corps chez un peuple, par sa mobilité chez un autre. Nous utilisons donc bien des deutéro-signes analogiques là où l'animal emploie des deutéro-stimuli-signaux analogiques.

Mais la participation et l'analogie, qui permettent tous les bons offices de l'image, entraînent aussi des inconvénients et des limites: ses imprécisions, sa dépendance des émotions, la non-transponibilité de ses éléments (une droite cesse d'être perceptivement droite quand une autre droite intervient à ses côtés, comme un bleu vire au voisinage d'un rouge). D'où, pour constituer la réalité humaine, l'appel à d'autres systèmes de signes: les signes digitaux.

Pourquoi ne peut-on pas afficher «.Défense d'afficher» sur une affiche "Défense d'afficher»? Paradoxe. Et le paradoxe, où le signe se pose et se détruit, est le fond du signe. La normalité de l'animal sémiotique se mesure à sa capacité de vivre avec le paradoxe. La névrose s'y bloque. La Psychose le fuit.
Extrait de l'Album Quick et Flupke par Hergé

 
 

Henri Van Lier
Le Poët-Sigillat, 15 août 1978

 
Notes:
 

[1] Van Lier (H.), Les Arts de l'espace, Paris, Casterman. 1959.
[2] Spengler (O.), Le Déclin de l'Occident, Paris, N.R.F., 1948.

 
 
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