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Texte de l'auteur (4 pages) en PDF
 


ANTHROPOGÉNIES LOCALES - PHYLOGENÈSE
 


HISTOIRE PHOTOGRAPHIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE (1992)
 


AVANT-PROPOS
 


Comme tous les média visuels qui l’ont précédée, de la peinture au vitrail, la photographie est un moyen singulier de construire et de percevoir le monde. Ou de déclencher un autre monde. Et de transformer l’image de l’homme. En tout cas, comme tout médium, elle a suscité des possibles et en a barré d’autres. Son aire de jeu a été tracée dans Philosophie de la photographie.

Mais ses virtualités et ses barrières ne se sont pas dévoilées d’un coup. Il y a fallu une histoire. Et, en l’occurrence, l’histoire a résulté de rencontres souvent fortuites entre des appareillages, des événements extérieurs et des cerveaux particuliers. Cela a fait une suite sinueuse. D’autant qu’avec un médium si indépendant du cerveau humain, si technologiquement autonome, des masses de photos importantes ont été produites en marge des courants principaux.

Pourtant les photographes exemplaires, les « grands » photographes, conservent leur intérêt. C’est que les virtualités de la photographie, que d’autres ont utilisées un peu par rencontre, ils les ont dégagées avec décision, force et émerveillement. Nous appellerons sujet photographique la virtualité principale que chacun a exaltée, et que l’on distinguera des thèmes ou motifs auxquels ce sujet s’est appliqué ou qu’il a induits. Le sujet photographique d’un photographe est alors parallèle au sujet langagier d’un écrivain, au sujet pictural d’un peintre, au sujet sculptural d’un sculpteur, au sujet architectural d’un architecte, au sujet musical d’un musicien, au sujet cinématographique d’un cinéaste, au sujet chorégraphique d’un danseur.

Ceci n’implique nullement que le sujet ainsi entendu ait été poursuivi explicitement par son auteur, ni même aperçu après coup. Il a presque toujours été largement inconscient, et devait l’être; les programmes trop déclarés engendrent les faiseurs ; et quand un écrivain, un peintre, un musicien parlent de leur production, ils le font la plupart du temps en invoquant les idées reçues ambiantes, sans pertinence pour leur travail. Il en va de même des photographes. A part quelques boutades d’autant plus éclairantes qu’elles sont moins calculées, leurs explications n’ont souvent qu’un intérêt sociologique, et renseignent sur le milieu plutôt que sur eux-mêmes. Pour notre propos, c’est ce qui a été fait, non les déclarations, qui importe.

Comme il s’agit d’une histoire, nous allons signaler pour chaque sujet photographique quelques phénomènes qui ont été en consonance avec lui à sa date de surgissement. Cela n’implique pas de causalité stricte d’une discipline à l’autre, mais seulement la participation de disciplines diverses à une même topologie, une même cybernétique, une même logique et sémiotique, par quoi il y a justement eu un moment historique, rendant possible ou plausible tel sujet photographique particulier.

On voudra bien nous pardonner l’usurpation du titre. Car, enfin, quand John Szarkowski montre comment les photos et les intentions des photographes ont intimement dépendu de la succession des découvertes techniques du médium, il fait aussi une histoire photographique de la photographie. Mais pour nous l’occasion était trop belle de marquer de la sorte que le présent travail est en concordance avec notre Histoire langagière de la littérature française à France Culture, avec le feuilleton des Logiques de dix langues européennes publié par « Le Français dans le Monde », comme encore avec une histoire plasticienne des arts plastiques dont des morceaux se trouvent épars de divers côtés depuis Les Arts de l’Espace de 1959 jusqu’aux contributions à Encyclopaedia Universalis. Ce qui, du reste, loin d’exclure la technique, donne à celle-ci un rôle franchement existentiel, comme l’a développé, en 1962, Le Nouvel Age.

Nous espérons que nos illustrations, ainsi que celles de Philosophie de la Photographie, à quoi renverra le sigle PHPH, suffiront à éclairer le texte. Cependant, pour saisir le sujet photographique d’un photographe, et pas seulement ses thèmes, il faut des documents très fidèles, permettant de déterminer avec subtilité ses effets de champ perceptivo-moteurs, ou encore ses effets de champ logico-sémiotiques, et de les faire contraster avec ceux des autres, puisque nos cerveaux ne déterminent rien que par comparaison. Par exemple, chez Paul Strand, qui s’attache à la positivité de l’ombre, le moindre alourdissement des noirs, phénomène fréquent dans l’imprimé, aboutit à de vrais contresens ; inversement, les timbres photoniques de Robert Frank s’évanouissent dans une impression trop claire. Il fallait donc élargir autant que possible les références du lecteur. Ainsi, même pour les photos que nous reproduisons, il sera renvoyé chaque fois à des ouvrages fournissant des documents excellents, ou en tout cas différents des nôtres.

Ce seront d’abord les quatre livres-catalogues publiés à New York, Chicago, Houston-Canberra-Londres, en 1989, à l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de l’annonce, en 1839, des découvertes de Daguerre et de Talbot. Les illustrations de ces ouvrages magistraux sont abondantes, bien choisies, d’une finition parfaite, et elles ont l’avantage d’être accompagnées des spécifications techniques du négatif et du tirage. A quoi, outre des monographies et catalogues irremplaçables, comme les « Aperture Monographs », il a paru commode d’ajouter quelques recueils de documents moins luxueux, ou moins riches en indications techniques, mais suffisants et faciles à trouver.

Afin d’éviter les regroupements trop dogmatiques, nos trente chapitres suivent les dates de naissance du premier photographe envisagé, sauf dans le cas des photographes de la couleur, qu’il a bien fallu rassembler en un même folio final pour des raisons techniques d’impression. On verra que cette historicité superficielle révèle souvent l’historicité profonde. Quant au nombre retenu de trente chapitres et d’une cinquantaine de photographes, il a paru une bonne mesure, puisqu’il ne s’agissait pas d’être exhaustif, mais d’inviter au voyage. Si quelqu’un n’est pas nommé, ce n’est pas qu’il soit exclu. Par exemple, on ne trouvera pas de chapitre sur Winogrand. Ce qui devrait rassurer tout le monde.

Jean-Claude Lemagny et Gilles Mora ont eu la gentillesse de relire ce texte et de m’éviter de grosses bévues. Les traces de l’intelligence plastique et de la rigueur logique de Micheline Lo sont partout. D’innombrables autres devraient être remerciés, l’un pour un gloussement approbateur, l’autre pour un silence navré. La saisie historique se tisse d’impondérables.

 

Renvois aux documents adéquats :

PN = Photography Untit Now, Museum of Modem Art.

NV = The New Vision, Metropolitan Museum of Art, Abrams.

AP = The Art of Photography, Yale University Press.

FS = On the Art of Fixing a Shadow, Art Institute of Chicago.

BN = Beaumont Newhall, Photography: Essays and Images, Museum of Modem Art.

LP  = Szarkowski, Looking at Photographs, Museum of Modem Art.

PF = Kozloff, Photography and Fascination, Addison.

CI = Caméra International, Paris.

PP = Photo Poche,  Centre National de la Photographie, Paris.

CP = Le numéro spécial des « Cahiers de la Photographie » consacré au photographe envisagé.

PHPH = Philosophie de la photographie.

 

Les sigles (*), (**), (***) renvoient respectivement à la première, deuxième, troisième illustration du chapitre. Donc, la formule (***AP,417) se lira : « Ceci a trait à la troisième illustration de notre chapitre, et vous en trouverez une reproduction meilleure, ou autre, avec les spécifications techniques souhaitables, dans The Art of Photography sous le numéro 417 ».

 

Henri Van Lier

Histoire Photographique de la Photographie

in Les Cahiers de la Photographie, 1992